Ne tirez pas sur l'ambulance

Publié le par Docteur Chocolatine

Ne tirez pas sur l'ambulance

Tout le monde sur les réseaux sociaux y va de sa dénonciation d'un service de santé français à bout de souffle. Je lils avec horreur des cas semblables comme si cela devait devenir un phénomène de dénonciation collective de la malignité des soignants et de leur incompétence présumée.

La tragédie de Naomi Musenga ne met pas qu'en lumière un cas isolé mais il est clair que la majorité des personnes qui crient au scandale (ainsi que les journalistes) se trompent de cible.

On a coutume de dire que l'erreur est humaine. Lorsqu'on touche la spécialité des "urgences médicales", l'erreur humaine peut devenir mortelle. C'est ce qui est arrivé à Naomi et c'est ce qui est arrivé à d'autres, plongeant des familles dans le deuil et l'incompréhension.

Certes...

Mais...

Au lieu d'accuser les professionnels de santé en sous-effectif constant depuis des dizaines d'années, travaillant dans une pression et un manque de reconnaissance permanents dans leur travail avec une exigence de compétence  intransigeante, peut-être pourrions nous poser la question de "Pourquoi en est-on arrivé là?".

Alors pourquoi?

 La moitié des consultations des urgences relèvent de la médecine de ville, profession qui, comme vous le savez tous, souffre d'un manque sérieux de candidats.

  •  parce que, actuellement, au vu de la jurisprudence, un médecin/un infirmier doit avoir vu et examiné le malade avant de lui dire que ce n'est pas grave. Et même en ayant fait le strict minimum voire des examens complémentaires, ils leur arrivent de se tromper.

 

  • Parce que, si vous refusez de voir le malade parce que les motifs ne vous semblent pas suffisants et qu'il présente des complications, vous risquez un procès. Mais aussi (et je l'ai vécu) parce que vous vous faîtes insulter, menacer par des inconnus qui proclament qu'ils savent, eux, que c'est grave!

 

  • parce que notre profession souffre intensément de ce qui a fait notre "sélection" depuis les années: ce fameux numerus clausus. 90% des candidats sont recalés. On sélectionne des futurs médecins capable de travailler des heures sur un dossier, ingurgitant dans leur mémoire des infos qui souvent ne vont servir à rien, sans les sélectionner non plus sur des qualités humaines (vous voulez des médecins compétents, oui ou non?). Un jour, ces médecins motivés, heureux, fiers de ce qu'ils font se retrouvent à vider une salle d'attente, attester de la bonne santé de l'un, prescrivant un énième arrêt de travail pour gastro (ah ce sacro-saint arrêt de travail) alors qu'eux même ont un syndrome grippal depuis des jours. Mais ils ne s'arrêteront pas parce que, sinon, qui verra les malades???

 

Nous en sommes donc arrivés au point où des régulatrices du SAMU non impliquées dans l'affaire se font menacer. Et quand bien même elles seraient impliquées, depuis quand fait on justice soi-même?

Qui veut notre place?

Qui veut être médecin, trimer pendant 9 ans d'études, frôler le burn-out pour être actuellement dénigrés, conspués?

Qui veut être infirmier (bac +5!) travailler tous les jours week-end et fériés compris pour n'en être qu'au SMIC horaire?

Qui veut être aide-soignant, être seul pour 20 patients, faire des toilettes en 10 minutes chez des personnes grabataires, être soi-même en souffrance au point d'avouer en colloque singulier dans un entretien médical "ça devient de la maltraitance (envers les personnes âgées)?

Qui veut entendre "vous n'êtes pas payés pour leur parler"?

Qui veut être régulateur du SAMU et trier les nombreux appels "pour rien"?

Comment ça "pour rien"?...

Eh bien parce que l'adage du Dr House "tout le monde ment" est vrai!

Parce que lorsque vous appelez pour une vraie douleur thoracique, vous pouvez imaginer le nombre de gens qui savent aussi qu'une douleur thoracique fait déplacer le SAMU. Pendant que le SAMU se déplace pour eux, d'autres patients (comme vous) ne sont pas pris en charge. Donc il faut réfléchir un peu avant d'appeler le 15 La loi prévoit une amende pour ceux qui ont sollicité les secours pour rien mais au quotidien, combien sont ceux qui vont aux tribunaux pour ce motif? Quid des appels de régulation justement?

Je me souviens m'être moi-même déplacée un jour en hélicoptère sur une mer un peu démontée à 4h du matin pour un patient qui s'était "froissé les côtes". Imaginez que ce jour-là, l'hélicoptère se soit abimé en mer?

Depuis plusieurs années, la violence aux urgences a flambé. Je vois régulièrement passer des propositions de formations paramédicales et médicales comme "prise en charge du patient violent et de sa famille" ou "gestion du stress en hospitalier". Une formation? Des caméras de surveillance? Et si on enseignait surtout le civisme à ceux qui viennent consulter?

J'ai plusieurs fois entendu mes confrères et moi-même dire:  "s'il râle, c'est que ce n'est pas grave". Ce n'est pas faux, le patient qui n'a pas d'énergie pour se manifester est généralement celui pour lequel il faut s'inquiéter. La petite dame sur un brancard trop fatiguée est celle qui relève de l'urgence.

On exige une qualité de vie pour soi-même en reniant celle des autres, des soignants par exemple. Nous sommes confrontés à des patients qui veulent travailler 35h par semaine mais aussi consulter leur médecin en dehors de leurs heures de travail, criant au scandale si celui-ci n'est pas disponible...

Nous en sommes à un point où, comme le disait un de mes confrères, les professionnels de santé songent de plus en plus à la reconversion. Les patients français se plaignent tellement de leurs soignants, les cas d'agressions physiques et verbales sont tellement nombreux que l'on ne peut plus exercer dans des conditions pareilles.

Comment être compétents en étant quotidiennement agressés?

N'oubliez pas que lorsque vos soignants font grève, ils font travailler. Vous connaissez beaucoup de professions qui font la même chose???

Aux Etats-Unis, près de 4 médecins sur 10 présentent des signes de burn-out!

Alors un conseil, observez votre médecin,

votre infirmier(e),

votre aide-soignant(e)

et prenez soin d'eux!

 

Enfin, cela peut être utile mais voici 26 bonnes raisons de ne pas aller aux urgences.

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L
Bonjour,<br /> Je suis tombée sur votre blog il y a quelques temps en cherchant des recettes de cuisine (merci beaucoup d'ailleurs, vous me faites rêver et bien manger) et aujourd'hui, je suis tombée sur ce billet de l'autre partie de votre vie.<br /> Merci beaucoup pour ce coup de gueule, tout à fait à propos. Je ne suis pas française et je suis étonnée que la "médecine de ville" soit celle qui ait le plus de problème à recruter. En Suisse, il manque bien entendu des généralistes un peu partout mais il y a surtout un grave problème pour trouver des médecins de campagne.<br /> Je vous souhaite beaucoup de courage pour votre travail!
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D
Merci Elise pour vos encouragements. La situation est en effet à la fois compliquée et tendue. Espérons que ça aille mieux un jour...A bientôt!
M
Bien vu Dr Chocolatine! Jamais je n'ai emmené mes filles aux urgences pour un bobo, car dans "urgences", ben y a "urgences" vitale... les gens vont aux urgences pour se faire soigner gratuitement au détriment des vrais malades qui risquent leur vie car ils doivent bien souvent patienter une journée entière pour être vus. Prends soin de toi Dr Chocolatine :)
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D
Tu as bien raison, Muriel! On est toujours inquiets mais il faut savoir les signes qui rassurent et ceux qui inquiètent. Bien des bises
R
Bravo ! tout est dit dans cet article "coup de gueule" ; malheureusement nous sommes entourés par beaucoup trop d'égoïstes, qui au moindre "bobo" pensent faire partie des cas désespérés. Je suis de tout cœur avec tous les médecins, le personnel soignant des hôpitaux et des maisons de retraite qui travaillent dans des conditions très difficiles voire inhumaines.
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D
Merci Rose-Marie! N'hésitez pas à partager votre opinion. Les soignants sont saturés et ont besoin de soutien!