(ou la Ministre parce que, maintenant, il semblerait que la personne en fonction choisit elle-même le genre de l’article qui précède sa dénomination)
C’est dimanche soir, un jour de repos paraît-il et pour vous aussi certainement. Je m’étais promis d’arrêter de pousser des gueulantes, je m’étais promis de fermer ma boîte à camembert mais, comme disait un poète qu’on enseigne plus chez vous, on ne dit jamais « Fontaine je ne boirai jamais de ton eau » (ou « cochon qui s’en dédit », quoi !)
Comme j’aimerais que mes enfants puissent lire cet article dans quelques années, je vais essayer de ne pas employer de mots trop compliqués, pas de subjonctif, de formes alambiqués (et mince !) – difficiles à comprendre et caetera.
Quand j’étais toute jeune maman, on m’avait prédit déjà « ouh la la, le niveau dans les écoles, tu vas voir ! ». Dans ma tête, je me suis dit « Mouais, vous disiez ça il y a 20 ans lorsque j’étais à l’école. Ca doit être du pipeau ». Dans le doute, j’ai quand même mis ma fille dans le privé.
Oui, madame, je suis une mauvaise citoyenne. Je fais confiance mais pas trop quand même !
Ca s’est à peu près bien passé. Mais je suis une mauvaise citoyenne.
Eh oui, j’ai osé émettre des doutes sur la méthode globale! Grâce à mes parents, c’est la méthode syllabique qui m’a permis d’acquérir (pardon – accéder à) la lecture. Du coup, j’ai pris mon courage d’une main, la méthode Boscher de l’autre, ma fille ainée de 4 ans sur les genoux. Six mois plus tard, elle savait lire. Deux ans plus tard (après s’être faite royalement ch…-oups !) en grande section, elle sautait une classe grâce à une maîtresse intelligente (parce que, madame la ministre, heureusement, les professeurs des écoles sont souvent plus formés et responsables que ne veulent laisser croire les programmes).
Ensuite, j’ai un peu râlé : selon les maîtresses, on n’apprenait pas les tables de multiplications par cœur. Vous direz ça, madame la ministre, à mes professeurs d’anatomie quand je devais me taper tous les muscles, les os et les trous du crâne en études de médecine. Vous direz ça aux cuisiniers qui connaissent toutes les recettes de base de la cuisine par cœur entre la crème anglaise et la sauce gribiche, vous direz ça aussi à mes amis qui sont passés par des études de Droit qui se sont ingurgités le Code Civil, le Code Pénal et tous les autres.
Donc, je suis une mauvaise citoyenne : ma fille a appris par cœur ses tables de multiplication comme sa mère qui les récitait, il y a 25 ans, devant son arrière-grand-père (paix à son âme !)
CE2 passe, CM1 aussi…Petit calme avant la tempête, je n’ai presque plus rien dit avant samedi dernier. Même si j’étais encore une fois interloquée surprise que les poésies que mon aînée apprend en CM1 soient les mêmes que la deuxième en grande Section. Surtout ne pas se poser de questions, surtout pas, sinon on prend des pilules roses à longueur de journée !
Mais là, c’était avant ce samedi matin. Samedi matin donc, j’étais tranquillement installée à la table familiale en train de réviser/travailler (oui, même à mon âge, j’apprends encore, madame la Ministre) car, comme beaucoup de mes confrères, nous sommes des éternels étudiants : il paraît que ça s’appelle la FMC (Formation Médicale Continue) et que nous avons bien de la chance.
Bref, j’étais en train de travailler tout en surveillant d’un œil les devoirs de ma fille. Elle me demande de les corriger et là, ô rage, ô désespoir, je constate qu’en CM2, à la date du 15 octobre, les élèves doivent savoir faire des additions à trous et conjuguer le verbe « faire » au présent. Oui, seulement ça! Pour rappel, l’addition est au programme de CE1 tout comme le présent. Donc, on révise, madame la Ministre! On passe son temps à réviser le CE1 encore trois ans plus tard ! On touche le fond et on nivelle par le bas pour que tout le monde ait la moyenne!
Alors, madame la ministre, je suis une très mauvaise citoyenne : j’ai concocté à ma fille des multiplications bien senties à trois chiffres (avec des 6, 7 et 8 – les pires tables de multiplications) et des divisions, renforcée dans ma conviction par sa remarque « maman, je crois que je ne sais plus les faire ! ». Je lui ai même appris la règle par 9 pour vérifier les multiplications, c’est un vieux truc mais ça marche toujours. J’ai continué dans ma révolte en lui faisant conjuguer « faire » au passé composé et futur, lui faisant découvrir en plus la joie du passé simple avec « faire » (je fis, tu fis, il fit, nous fîmes...) mais aussi « être » (je fus,tu fus, il fut...).
Bref, madame la ministre, je fus dépitée, elle entendit mes cris sourds et ma rage folle, elle remarqua que ce n’était pas si difficile d’apprendre et elle s’en vint toute joyeuse clamer haut et fort qu’elle avait appris le passé simple avec sa maman (tout comme la lecture soit dit en passant).
Madame la Ministre, la mauvaise citoyenne que je suis ne vous demandera pas de me rémunérer pour les heures supplémentaires d’enseignement dispensées à la maison. Il paraît que, chez vous, on éduque puisque votre ministère se nomme « Education Nationale ». Pour ma part, l’éducation s’est toujours faite à la maison (bonjour/merci/s’il vous plait/ tiens-toi bien à table/ sois gentil) et l’enseignement à l’école. Mais, après ce qui s’est passé samedi matin, je me demande vraiment ce qu’il reste à l’école. Qu’est ce qu’y apprend ma fille, vraiment ???
Je n’ai même pas testé le public parce que je suis une mauvaise citoyenne. J’ai mis ma deuxième et ma troisième dans le hors contrat parce que je suis une mauvaise citoyenne.
Pour une somme relativement modique comparé au privé de l’ainée, elles y apprennent mandarin, espagnol et anglais, sont à l’aise dans l’écriture et la lecture, la poésie et le chant. Elles s’y épanouissent et je n’entends ni brimades, ni remarques de la part des professeurs comme c’est le cas pour notre ainée.
Votre consœur continue de créer une médecine à deux vitesses. De votre côté, vous formez également une école à deux vitesses!
Nous ne savons plus lire Rabelais et Balzac nous ennuie. Mozart est un opéra rock et Google notre meilleur ami pour accéder à la connaissance. Bientôt, mes patients iront sur Doctissimo pour me décrire leurs symptômes et mes futurs confrères, dans 20 ans, écriront leurs ordonnances en langage simili-SMS.
Je suis une mauvaise citoyenne, madame la ministre, alors j’ai décidé de ne pas me taire. Je sais que vous faîtes au mieux (enfin, j’ose le croire) alors, s’il vous plaît, arrêter le massacre de l’intelligence de nos enfants. Il faut leur faire confiance : ils sont doués et n’aspirent qu’à apprendre. Vous aurez peut-être moins de problèmes dans les écoles et les collèges si les enfants n’y viennent plus pour s’y confronter avec leurs congénères mais pour toucher du bout des doigts la sphère de la connaissance. Hommage à ma chère Boâte qui m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui.
En vous priant de bien vouloir agréer mes sentiments les plus respectueux
Note: Pour la féminisation des titres, c'était quand même plus simple avant:
-Madame le ministre = la personne en titre
-Madame la ministre = épouse de monsieur le ministre.
De toute façon, maintenant, les gendarmes ont poussé le vice jusqu'à m'appeler "Commandante" car c'est dans leur usage. A mon froncement de sourcils, ils ont fini par dire "Docteur". Heureusement que j'ai des patients conciliants quand même!