A toi que j'accompagnerai ce jour dans ta dernière demeure
Entendre le bruit des clés qui tourne dans la serrure suivi de ton « bonjour, bonjour... » joyeux, parfois fatigué,
Découvrir le pain que tu gardais dans ta main, le programme télé dans l'autre pour ma grand-mère,
Te regarder étaler le beurre sur tes biscottes et écouter crisser le couteau sur les tartines,
Manger ces biscottes avec du Nutella dessus parce que tu es le seul à m’en acheter : une, puis deux, puis trois, puis quatre, puis cinq, puis six…"pfffiou, j’en peux plus, Papinou!"
S'échapper une journée avec toi au Palais de la Découverte, au Salon de l’Agriculture, à la Villette et, comme un rituel, dans ce dernier lieu, faire un passage chez Quick où j'ai le droit à la fameuse box enfants.
Tous les 14 juillet, jouer à faire éclater des pétards dans le petit parc de Cabourg,
Les soirs de vacances, faire une longue ballade où l’on parle de tout et de rien le long de la digue, s’arrêter chez le crêpier de la rue de la Mer, manger une crêpe au chocolat et repartir le ventre bien repu,
Préférer le mardi parce que le mardi soir, « je vais dormir chez Manou et Papinou »
Aller te voir dans ton bureau à la mairie, comme ça, juste en passant, entre le collège et la maison, discuter avec toi de tout et de rien, ce bureau plein de dossiers (même le mien, jamais il n’a ressemblé à celui-là). Une fois, tu m'as même emmené découvrir la pièce derrière la grande horloge, c'était magique.
Quand j’étais petite, tout le monde te reconnaissait dans la rue, te serrait la main. Tu avais toujours un mot gentil pour chacun. Tes dernières années, on ne voyait plus qu'un vieillard avec un déambulateur...
Lire des histoires avec toi parce que, même si je sais lire, j’aime que tu t’asseyes à côté de moi pour que je lise mes histoires le soir
T’entendre aspirer ta soupe à la cuiller parce que, je ne sais pourquoi, tu n’as jamais su avaler ta soupe sans l’aspirer et ça me faisait rire! Parfois, je te le reprochais...
Quand tu me raccompagnais le soir chez mes parents et que tu repartais tout seul dans la nuit...il faisait froid ces jours-là!
Me souvenir, me souvenir de...
...ce jour où tu tremblais d'émotion en servant le vin à celui qui deviendrait mon mari et le père de mes enfants
...ce jour où, alors que j’étais vêtue de blanc, tu as lu l’Evangile devant toute l’assemblée réunie. Six ans plus tard, tu as pu le refaire à l’occasion du baptême de ta troisième arrière petite fille.
...que je prenais ton bras quand tu marchais difficilement,
...tous les jours où je te confiais notre fille, notre aînée, le matin avant d’aller travailler : tu partais avec la poussette, elle t’aidait même à marcher, cette poussette, à cause de ton canal lombaire étroit. On appelle ça le "syndrome du caddie" chez les médecins. Parfois, tu m'attendais derrière la porte de mon appartement, tu n'osais pas entrer et je ronchonnais parce que j'aurais préféré que tu sois à la maison, tranquillement, à m'attendre. Déjà, je voulais prendre soin de toi, mon grand-père adoré.
...ces soirs où je revenais épuisée après une grosse journée de stage, et je retrouvais ma fille tout contre toi, brûlante de fièvre et toi qui ne bougeait pas et qui tapotait doucement son dos en signe de tendresse
...ces soirées que nous avons partagé ensemble alors que j’habitais à côté de chez vous pendant plusieurs mois,
...ce midi de juillet où nous avions fêté tes 85 ans en famille où j'avais rapporté fièrement le Grand Cru Vanille de Philippe Conticini parce que je sentais que c’était le dernier anniversaire qu’on fêterait ensemble
...cette dernière rencontre en maison de retraite où tu nous avais apparu amaigri, les yeux cernés et pourtant si profondément heureux de nous voir. La dernière image de toi serait à jamais ton sourire édenté et ta main me disant au revoir.
Tu étais un homme profondément bon, rempli de douceur et d’humanité.
Aujourd’hui, je t’accompagnerai vers ta dernière demeure et mes yeux seront remplis de larmes.
Aujourd'hui, aussi, je chanterai pour toi, si je peux, parce que je ne pourrai pas parler.
Hier, aujourd'hui et demain, tu seras intensément dans mon coeur comme jamais. Il ne s'est pas passé un jour sans que je n'ai une pensée pour toi. En ce moment même, des centaines de souvenirs reviennent à la surface.
Je ne veux pas oublier ta voix, je ne veux pas oublier ta joue râpeuse, je ne veux pas oublier tes yeux bleus, je ne veux pas oublier ton sourire, je ne veux pas oublier tout ce que tu as été pour moi.
Il est des grands-pères extraordinaires et tu fais partie de cela. Par ton humilité, ton bonté, ta douceur, tu as su toucher plus de monde que n'importe qui.
Alzheimer t'a atteint l'an dernier. J'ai eu la chance de t'avoir au téléphone quelques jours avant ta mort. Dans ton discours confus, tu m'as dit en parlant de moi "Tu pars toujours à pied".
Oui, mon Papinou. Je pars encore à pied...et toi, tu t'es envolé vers Là-Haut.
Un jour, on se retrouvera et on ira de nouveau se promener sur les plages de Normandie. Le soir, on jouera aux dames et on se cachera dans les bosquets pour faire les 400 coups.
Il n'y aura pas un jour où je ne penserai à toi.
Il y a deux mois, j'écrivais ce texte où tu me parlais. Ta fatigue a fini par t'emporter vers Là-Haut. Maintenant quand j'aurais une réclamation à faire, je saurais vers qui me tourner.
Certains pourraient s'étonner d'écrire un texte aussi personnel sur ce blog. La douleur de perdre un être cher, l'envie de lui rendre un hommage m'a portée à écrire mes souvenirs pour que je n'oublie pas ce que j'ai vécu grâce à lui.