Alzheimer

Publié le par Docteur Chocolatine

Alzheimer

 


Ma main caresse ta joue râpeuse et ton regard un peu absent. Tu réponds à nos questions et parfois, encore, tu poses des questions mais je sais que cela se fera de plus en plus rare.


Je regarde cette main qui a si souvent serré la mienne lorsque j’étais petite, ses mains qui me dessinaient plein de jolies choses parce que tu avais "un sacré coup de crayon". Je regarde tes épaules sur lesquelles je suis montée au début de ma vie, tes genoux sur lesquels je m’asseyais après l’école, ce corps bien creux qui a perdu ses formes et qu’un jour, j’ai surnommé « Gros Patapouf ».


Tu ne dis plus grand-chose et la maison de retraite dans laquelle je suis venue te voir me fait l’office d’une garderie pour potes âgés. On pose les vieux comme on pose des plantes quelque part et on s’occupe d’eux lorsqu’ils râlent un peu trop. Ce n'est pas de la culture de légumes mais ça ressemble plus à une institution sans bienveillance où on prend les octogénaires pour des enfants.


Lorsqu’on te donne à boire, c’est dans un minuscule gobelet en plastique digne d’un petit expresso. A-t-on peur que tu renverses la totalité du verre ou néglige-t-on que tu as besoin d’autant d’eau voire plus qu’un individu plus jeune ?


Ton arrière-petite-fille est venue te voir et, malgré tes difficultés, tu as été ému de voir un enfant. Je ne suis pas certaine que tu te souvenais encore de son prénom. Tu tremblais de la prendre sur tes genoux mais tu as été heureux de la toucher et l’embrasser du bout des lèvres.
On a vécu d’heureux moments ensemble tous les deux. Tu as été le grand-père gâteau que tout le monde rêverait d’avoir, celui avec qui je pouvais faire les 400 coups parce que je n’avais ni frère, ni sœur avec qui m’amuser.

Où es-tu maintenant ? Te souviens-tu seulement de tout cela ?

 

Dans ta chambre, j'ai posé un peu clandestinement une petite carte représentant Jésus et son coeur rayonnant de miséricorde. Parce qu'au fond de mon coeur, je me dis que Dieu, dans son Infinie Bonté, pourrait t'accorder quelques instants de grande lucidité et d'espérance; que, dans ces brefs moments, tu pourrais simplement Te tourner vers Lui et reposer dans Sa paix.

Dans ta chambre aussi, je t'ai vu, somnolant dans tes draps. Que t'avaient-ils donné ce soir là pour qu'à 18h, tu sois déjà en train de dormir? Il était si difficile de te parler et de te faire ouvrir les yeux que nous nous sommes contentés de te tenir la main.

Pendant que les autres pensionnaires prenaient leur dîner, je me demandais presque si je ne pouvais pas mettre le mot "négligence" sur ce moment-là.

 


Je caresse encore ta joue. J’entends mon aînée jouer sur le piano désaccordé de cette maison de retraire l’air de « Joyeux anniversaire » et tu fredonnes la mélodie avec nous.

 

Tu as fêté tes 86 ans en juillet dernier.

Je ne sais quand je te reverrai.

Je ne sais même pas si je te reverrai.

 

En décembre 2014, avec ta quatrième arrière-petite-fille, la maladie te guettait déjà

En décembre 2014, avec ta quatrième arrière-petite-fille, la maladie te guettait déjà

Note:

Ce texte parle de mon grand-père. Il est toujours de ce monde et me manque terriblement.

Si l'Alzheimer est une maladie difficile à vivre pour les malades comme pour les proches, mon coeur de petite fille me dit toujours qu'avec de simples gestes d'affection, avec la présence des enfants quand elle est possible, on peut donner quelques instants de paix et de joie à ces personnes.

Commenter cet article

N
Bonjour, <br /> au hasard d'une virée sur le net je découvre votre site magnifique, le hasard n'existe pas car j'ai lu vos mots, j'ai arrêté de respirer, j'étais en apnée d'émotions de cette cruelle réalité parfaitement décrite...<br /> merci pour vos mots et quel bonheur de lire un tel ressenti qui est partagé par beaucoup de personnes encore humaines....<br /> merci du fond du coeur
Répondre
D
Merci Nathalie! Vos mots m'ont touchés. Si seulement on pouvait faire changer les choses...
N
Comme d'habitude tes écrits sont magnifiques et je peux ressentir ce que tu vis... pas facile d'être soignant , je t'embrasse
Répondre
D
Je sais...et certainement plus que moi encore! Je crois que je n'ai pas fini d'écrire sur Alzheimer. La catharsis n'est pas finie.
B
J'ai moi aussi la gorge serrée en lisant ce très beau texte. J'ai perdu ma maman il y a quelques mois, j'ai heureusement réussi à la garder dans un environnement connu et très proche de moi, et la chance également qu'elle me reconnaisse jusqu'à la fin, mais c'est très dur de les voir s'enfermer petit à petit dans un autre monde sans pouvoir rien faire.
Répondre
D
Merci Brigitte!<br /> Ta maman veille sur toi maintenant. Je t'embrasse
F
Oh Diane , je pleure, comme une enfant devant mon ordi, moi qui n'ai pas eu la chance d'avoir de grands parents !!!!<br /> Je sais ce que tu ressent , car j'ai , un jour, trouvé ma tante (que j'aimais beaucoup) , comme cela, abandonnée , dans un coin , qui ne savait pratiquement plus parler , parce qu'on ne lui parlait pas !! c'est terrible !!! <br /> Mais, même si j'ai quelques fois du mal à "y croire" !!! , j'espère que dans le pays où ils partent (que ce soit en pensées ou en réalité) , ils seront plus heureux et que des moments de lucidité leur rappelleront que nous les aimons !!!<br /> bisous ma belle, je sais (avec tes textes) à quel point tu es attachée à tes grands parents !!!!<br /> Prends soin de toi !!!
Répondre
M
Votre texte est MAGNIFIQUE. Les larmes perlent et le coeur bat très fort pour votre Grand Père, pour vous et votre famille. Votre FOI, vous aide, c'est bon de lire cela et de se dire qu'un jour IL sera dans la Joie Eternelle. Mes pensées vous accompagnent sur le difficile chemin de la Vie Mapaje
Répondre
L
Très touchant et j'ai pleure en lisant ,ma mere glissait doucement dans cette maladie elle nous reconnaissait encore lorsque elle est partie'ma plus grande souffrance etait son placement en maison de retraite contre sa volonté 'fille unique je n'avais pas lee choix elle a subi tout ceci et moi nous aussi ma hantise etait quelle ne nous reeconnaisse plus ce netait pas le cas il faut du courage de l amour
Répondre
L
C'est une terrible maladie, maudite soit-elle.<br /> Chère Diane, votre billet est émouvant de tendresse.<br /> Que d' impuissance, Seigneur, quand il ne nous reste plus que l'amour à donner là où la science a encore ses limites.<br /> Et oui, nos malades d' Alzheimer ont toujoursun petit rayon de lucidité qui leur revient en éclair et qui vient nous donner une grande joie et ce moment-là n'a pas de prix.<br /> <br /> Tout mon amour pour les malades et mon appui et ma tendresse pour les familles.<br /> <br /> Lola.
Répondre
C
Votre lettre me touche énormément car cette maladie n'épargne personne. Ma mère est décédée Alzheimer également, elle me demanderait " Vous cherchez quoi madame ?" quand j'entrais dans sa chambre. J'allais la voir dans cet espace que je qualifierai de mouroir, triste, négligé, sentant fort et ou le personnel fait bonne figure quand les familles sont la, mais ensuite ... ces pauvres êtres deviennent des numéros, ne s'appartiennent plus, rangés comme sur des étagères, on décide de tout pour eux (même le médical) sans prendre le soin d'en aviser les proches, je trouve cela révoltant ! Profitez le plus que possible de ces derniers contacts avec votre grand-père, on guette sans relâche cette toute petite étincelle de lucidité qui ferait son bonheur et le votre. Je vous souhaite de tout cœur de pouvoir en partager encore quelques unes. Grosses bises affectueuses. Chantal
Répondre
N
C'est très émouvant et comme les personnes avant moi le disent, j'ai la gorge serrée et je n'ai pu m’empêcher de pleurer. J'ai vécu cette situation, mais j'ai gardé maman avec moi jusqu'à la fin.<br /> Bises à vous
Répondre
A
J'ai pleuré en lisant ce que tu as écrit pour ton Grand-Père que tu aimes fortement ! Cette maladie est un véritable fléau et c' est très difficile à gérer. Maman est décédée chez nous et nous l'avons soigné jusqu'au bout.Elle a eu cette chance si l'on peut appeler cela " chance ". Elle aura été choyée car mon mari, mon fils ( qu'elle adorait !) moi-même, nous l'entourions et nous nous en occupions du mieux possible. Que cela a été difficile à vivre, mais elle n'était pas seule. A la fin elle ne reconnaissait plus personne, mais avant de mourir un Dimanche alors que j'avais allumé la messe, elle m'a dit ces mots incroyables en pleurant : " Anne ma chérie ". Elle est décédée à la fin de la messe. Que la personne soit en maison de retraite ou chez ses enfants, c'est dur car on revoit le passé de la personne valide, ses activités, sa tendresse ! Je sais que c'est difficile pour toi, mais il faut essayer de rester forte.<br /> Je t'embrasse bien fort Diane.
Répondre
A
Je suis très émue en lisant ce texte, il est de toute beauté tellement émouvant et si vrai.
Répondre
M
un joli hommage que tu rends à cette belle personne que ton beau grand père .<br /> La maman d'Anne Roumanoff , s'occupant de son mari a écrit un très joli livre ou elle dit que même si ils ne nous reconnaissent pas, NOUS,on les connait.. !!!!!!!!!!Bisous.Mireille.
Répondre
Q
J'ai la gorge nouée en lisant ton article. Nul n'est préservé de cette maladie, ma tante adorée a fini ses nuits en ne reconnaissant plus personne. J'espère que là où elle est, elle a retrouvé tout ses souvenirs.<br /> Bisous
Répondre
V
Très bel article qui me touche profondement ( je travaille dans une structure pour personnes atteinte de la maladie D'alzheimer )<br /> Comme tu as raison ...parfois une simple visite et leurs regards s'illuminent
Répondre